Formation : Interview avec Micha Mettouchi docteure en histoire et civilisations de l’université Paris Cité
Micha Mettouchi est docteure en histoire et civilisations de l’université Paris Cité, membre du laboratoire Identités, cultures, territoires. Sa thèse a pour sujet « les politiques inclusives des universités en France et en Angleterre à l’aune des parcours universitaires des étudiantes et étudiants en situation de handicap depuis 2000 : analyse comparative ».
L’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap ne dépend pas que de leurs compétences. De multiples obstacles expliquent un taux d’emploi beaucoup plus faibles que pour les personnes valides. Pouvons-nous en rappeler les principaux ?
M.M : On peut parler d’un désavantage en matière d’éducation qui a pour conséquence un manque de qualification et de compétences professionnelles pour un certain nombre de personnes en situation de handicap. Ainsi, les grandes enquêtes nationales comme l’enquête Génération du Cereq dépeignent des parcours qui s’inscrivent plus difficilement dans les plus hauts de degré d’enseignement et les formations les plus qualifiantes, qui s’interrompt plus souvent. De nombreux travaux développent des explications à cela : la faiblesse des dispositifs visant l’inclusion d’un point quantitatif et qualitatif, les inégalités territoriales, le manque d’aménagement des programmes d’enseignement et de formation des enseignants et enseignantes, de moyens humains, financiers et techniques, de coopération entre les intervenantes et intervenants sociaux et médicaux-sociaux, de projets d’établissements adaptés. À l’université, même si les étudiants et étudiantes en situation de handicap sont chaque année plus nombreux à s’inscrire, le capital scolaire acquis durant la scolarité primaire et secondaire est décisif pour la poursuite du parcours. On constate un abandon marqué en première année pouvant s’expliquer par des difficultés d’adaptation lors de la transition entre le secondaire et le supérieur.
Les étudiants et étudiantes sont surreprésentés en licence et lorsqu’ils progressent, ils atteignent plus rarement le master et le doctorat. Cette progression est différenciée en fonction du handicap, les troubles intellectuels et cognitifs, les troubles psychiques ou du langage et de la parole sont particulièrement désavantagés.
Ces constats s’expliquent en partie par les difficultés inhérentes aux aménagements lors de la formation universitaire, à la façon dont sera mis en place l’accompagnement, avec parfois des refus d’aménagements, la proposition d’aménagements non adaptées aux besoins, ou non mis en place de façon effective.
Même si le diplôme de l’enseignement supérieur reste un atout incontestable pour l’accès à l’emploi, l’entrée dans la vie active des jeunes diplômés est mise à l’épreuve par la hiérarchie des diplômes renforcée par la dégradation du marché de l’emploi, et l’existence de discriminations à l’embauche. En effet, en période de recherche d’emploi, les croyances des employeurs en matière de productivité des personnes en situation de handicap conduisent à des formes de discrimination, pour certaines spécifiques à certains types de handicap telle que mental ou psychique, en particulier lorsqu’ils concernent la communication verbale ou non verbale. Une fois en poste, l’état de santé peut avoir un effet sur les parcours professionnels plus discontinus et instables. Pour tous, se pose la question du cadre de travail, à savoir la manière dont sont abordées les limitations de capacité, les aménagements nécessaires et la question de l’accessibilité environnementale c’est à dire l’accessibilité des lieux d’activité et des modes de déplacement. Ce cumul de handicaps donne lieu à des problématiques particulières d’accès à l’emploi et de maintien en emploi.
Nous nous intéressons plus particulièrement au rôle possible de la formation pour initier un changement. D’après vos travaux, la formation devrait s’adresser à un ensemble de publics pour opérer efficacement : collègues, RH voire instances d’accompagnement… Est-ce une bonne manière de vous lire ?
M.M : Dans la mesure ou l’inclusion implique des procédés de travail collaboratifs et de mise en oeuvre concertée puisqu’elle est « l’affaire de tous », des méthodes et de savoirs nouveaux, se former est nécessaire pour inscrire le changement au sein de l’institution, des pratiques de chacun.
Il serait aussi question d’inclure les étudiant.e.s valides dans ces campagnes de formation et de sensibilisation et leur rôle en tant que pairs dans la formation des étudiant.e.s en situation de handicap n’est pas assez pris en compte. La vie sociale est, en effet, une dimension essentielle de l’expérience universitaire et des apprentissages. Les relations sociales apportent par exemple le soutien, l’entraide et l’échange de savoir nécessaires à la mobilisation de l’étudiant.e.
Quel devrait être le contenu des formations pour créer un climat favorable ?
M.M : Le contenu doit permettre de mieux faire connaitre les handicaps, par là je veux dire les manières de les aborder dans nos représentations sociales avec une perspective historique, sociétale, législative pour comprendre que nos représentations sont le fruit de constructions sociales et de dynamiques qui nous dépassent et qui nous englobent et qui peuvent expliquer nos préjugés et impacter nos pratiques. On ne peut pas ignorer que handicap est aussi le fruit de nos relations sociales, des stigmates et des préjugés qui contribuent aux barrières sociales environnementales auxquelles font face les personnes en situation de handicap. Ainsi, dans plusieurs universités anglaises, des formations sur les préjugés inconscients, leur impact sur le comportement, sur la prise de décision, sur les pratiques et leur gestion sont réalisées. Il existe des manières ambitieuses de traiter de la question du handicap, c’est là que le concept d’inclusion entre en scène. Il est aussi bien entendu essentiel de donner des réponses concrètes dans le cadre des pratiques de chacun, de réaliser un transfert/partage de connaissances pour une prise en compte des handicaps et le développement de pratiques inclusives car on ne peut que constater l’impuissance, le manque de connaissance et d’outils des différent.e.s acteurs.trices éducatifs.ves. Il serait alors utile de former et sensibiliser aux outils technologiques pour développer des ressources d’apprentissage inclusives et à la question de la propriété intellectuelle (dans le cas des enregistrements de cours magistraux pour leur mise à disposition). C’est aussi la manière de dispenser cette formation qui représente un défi c’est à dire la forme, les conditions qui en favorise la diffusion. Premièrement, elle doit être encouragée et intégrée dans les stratégies de développement professionnel. Ayant discuté des enjeux de la formation et de la sensibilisation avec des acteurs.trices universitaires, il apparait que les contraintes de temps par exemple peuvent y faire obstacle. Il faut donc trouver une manière de dégager du temps pour les différents acteurs.trices en proposant des formations hybrides, avec des ressources en ligne qu’il serait possible de consulter sur des moments de repos, des documents écrits (livrets…). La création de formats conviviaux pourrait permettre de libérer la parole sur des difficultés à l’image de « cafés de pratiques inclusives» comme j’ai pu en rencontrer en Angleterre, où chacun expose un problème et reçoit des conseils de ses pairs dans une atmosphère bienveillante. L’idée de mêler les acteurs.trices éducatifs.ves et les étudiant.e.s en situation de handicap lors d’actions de formation pourrait renforcer la sensibilisation à l’endroit des étudiant.e.s et des difficultés qu’ils peuvent rencontrer. Il faut aussi se donner les moyens humains et financiers de réaliser ces formations qui peuvent être trop rares et ne pas concerner les différents publics.
Pour autant, la formation des personnes en situation de handicap, initiale et continue, reste évidemment centrale, à plus forte raison dans un contexte de fortes mutations, telles que l’appropriation de l’intelligence artificielle ou le travail à distance. Que doit-on changer, selon vous ?
M.M : Les nouvelles technologies peuvent être un moyen étonnant pour faciliter la formation des personnes en situation de handicap, et ils ou elles sont amené.e.s à les manipuler dans ce sens.
En effet, aujourd’hui les nouvelles technologies sont de plus en plus étudiées et utilisées pour compenser les différents types de handicap, développer et renforcer des compétences telles que l’attention, l’engagement, la participation via des apprentissages ciblés, et des travaux sont réalisés comme sur l’utilisation d’outils numériques (IPAD, tablettes tactiles, outils de réalité virtuelle, montres connectées…), par exemple pour les enfants et adultes atteints d’autisme à l’université de Nantes, notamment grâce aux travaux de Patrice Bourdon.
Cependant, le risque avec tout outil de compensation est qu’il pourra conduire à mettre en attente, à repousser encore une transformation de nos institutions, de nos organisations, de nos procédés de travail vers l’objectif d’inclusion.
L’enjeu reste de comprendre comment l’outil numérique peut s’insérer dans cette transformation, de manière à l’appuyer. Ce qui est particulièrement intéressant est que ces outils sont conçus de façon collaborative, avec les usagers, pour être au plus près de leur besoin, par une compréhension fine de celui ci, de leur manière de s’approprier l’outil, pour optimiser son efficacité.
Quant au travail à distance, c’est une piste déjà explorée dans le contexte professionnel comme aménagement possible pour les personnes en situation de handicap même s’il ne faut pas oublier que l’insertion dans un groupe, une équipe et un environnement de travail collaboratif est au cœur de l’enjeu du sentiment d’appartenance sociale, d’utilité sociale, et des relations d’interdépendances.
De façon globale, la formation des personnes en situation de handicap doit se faire au sein d’une institution qui replace la question du handicap au cœur des organisations, des procédés, des pratiques de chaque acteur et actrice, de manière à ne pas externaliser cette prise en compte à une structure dédiée, pour ne pas perdre le sens de l’accompagnement de ces personnes, éviter une non implication des acteurs et actrices, et des aménagements compensatoires refusés ou défaillants car peu adaptés aux réalités de l’expérience vécue. Sur ce dernier point, il apparait primordial d’impliquer les personnes en situation de handicap concernées par ces actions transformationnelles, qui sont les plus au fait des obstacles qu’elles rencontrent et donc des réponses que l’on peut y apporter. Il est nécessaire de penser de manière systémique et structurée ce changement, de formuler des plans d’action comme ce qui est à l’œuvre dans le cadre des schémas directeurs des universités, d’évaluer fréquemment les actions au regard de leurs objectifs par des outils de mesure, d’inclure la parole des étudiants et étudiantes dans cette démarche, de redéployer fréquemment de nouvelles actions en fonction des avancées. Il faut être ambitieux dans les objectifs et les actions décidées avec pour ligne de mire l’inclusion et ne pas rester sur le modèle historique de la compensation.