20 ans de la loi « Handicap » : témoignage d’Odile LACHERET, enseignante spécialisée à l’UEMA de Lyon
Autrefois enseignante classique, Odile LACHERET a été catapultée dans l’univers du handicap en 2011, lorsqu‘elle a été nommée à un poste d’enseignante spécialisée, une expérience qui lui a énormément plu. Après plus de 10 ans passées dans diverses CLIS TED1, UEMA2 et ULIS TSA3, elle revient aujourd’hui sur son expérience et sur l’impact que la loi du 11 février 2005 a eu sur l’inclusion scolaire.
« Au fil des années, on a vraiment vu une évolution, au sein de l’Education Nationale, de la place des enfants en situation de handicap dans l’école, de peu acceptés à l’école à maintenant faisant vraiment partis des élèves. »
Odile LACHERET – Enseignante spécialisée à l’UEMA de Lyon
Vous avez travaillé dans l’UEMA APAJH de Lyon pendant plusieurs années, est-ce que vous pouvez nous parler de votre expérience ?
O.L : C’était une ouverture et à l’époque il n’y avait pas beaucoup de recul sur ces unités ! Ce n’était pas simple car il y avait 6 ou 7 professionnels dans le même lieu, tous avec des cultures professionnelles et des façons de fonctionner complétement différentes. Il a fallu penser les fiches de postes de chacun et travailler la pluridisciplinarité et l’interdisciplinarité.
Dans l’UEMA de Lyon, le parti pris était de m’encourager à garder ma liberté pédagogique et à ne pas du tout imposer une méthode. J’ai eu la chance grâce à l’APAJH de pouvoir faire beaucoup de formations. J’ai pu développer mes compétences en m’enrichissant de ce que le médico-social a à offrir. J’ai pu continuer à être une enseignante avec ma liberté pédagogique, avec une trousse à outils phénoménale, qui est vraiment très importante parce que tous les enfants ont des besoins différents, d’où la notion de « cousu-main ».
J’ai pu comprendre beaucoup de choses au niveau sensoriel grâce aux psychomotriciennes et ça m’a permis d’avoir un point de vue beaucoup plus global car, en tant qu’enseignant, on se focalise beaucoup sur l’élève.
Le très gros avantage de l’unité d’enseignement maternelle de Lyon, c’est qu’on avait une supervision très régulière et des réunions hebdomadaires avec tous les professionnels où l’on réfléchissait ensemble sur le cas de chaque enfant. Cela permet de prendre du recul par rapport à des situations dans lesquelles on se retrouve au quotidien. J’ai pu travailler beaucoup la relation avec les parents, l’expertise des familles par rapport à leur enfant ce qui m’a permis d’enrichir ma pratique professionnelle.
Je me suis vraiment reconnu dans les valeurs de l’APAJH. Il y avait une réelle volonté de construire quelque chose avec l’Education Nationale. Mes années de travail au sein de l’association ont fait profondément évoluer ma pratique et ma vision professionnelles. A l’heure actuelle, je travaille en ULIS TSA, avec des enfants qui ont des troubles du comportement. Ce sont des enfants qui étaient très peu scolarisés et pouvaient mettre en difficulté les classes dans lesquels ils étaient. En me servant de tout ce que j’ai pu apprendre en travaillant main dans la main avec le médico-social, cela me permet de faire vraiment progresser les enfants.
Selon vous, qu’est-ce qui a évolué dans le milieu scolaire depuis la loi du 11 février 2005 ?
O.L : C’est une loi qui a été dure à mettre en place parce que les mentalités sont dures à faire évoluer mais aussi parce qu’on est assez démunis dans l’Education Nationale concernant les enfants avec de grosses difficultés, surtout ceux qui ont un trouble du comportement. J’ai passé mon concours de professeure des écoles avant la loi du 11 février 2005 et il a fallu attendre longtemps avant de voir les enfants en situation de handicap dans les classes.
Je trouve que l’implantation des UEMA et des ULIS dans les écoles permet réellement de faire changer le point de vue des enseignants et des enfants. Je suis toujours surprise parce qu’on a aucune difficulté à mettre ensemble ces enfants. Les enfants ayant une scolarité ordinaire ont des questions, qui sont légitimes, concernant les enfants qui ne parlent pas, qui ont des troubles du comportement et qui peuvent parfois être violents, mais ils n’ont pas peur. Ils aiment avoir un lien avec eux et sont contents de les avoir dans la classe. Il y a réellement une évolution de la place des enfants parmi les autres. Au fur et à mesure, je constate que cela ne pose pas de problème aux enfants d’être avec des enfants différents. Ils se saisissent de tout ce que je leur propose au niveau de la communication pour rentrer en lien les uns avec les autres et les enseignants sont de plus en plus volontaires pour accueillir tous les enfants dans leur classe, pour mener des projets, pour s’intéresser et pour se former aussi. L’école à elle seule ne peut pas tout faire mais en partenariat avec le médico-social, quand le partenariat est réussi, c’est vraiment d’une immense richesse.
Evidemment, ce n’est pas tout rose ! On a des familles qui sont vraiment en difficulté, notamment par rapport aux prises en charge dans le médico- social, elles n’ont pas toujours une place dans le dispositif adapté aux besoins de leur enfant.
Qu’est-ce qui vous rend fière dans votre carrière professionnelle ?
O.L : Je doute constamment avec les enfants vraiment difficiles, ceux qui ont des gros troubles du comportement, qui cassent, qui jettent, qui sont violents… Je ne sais pas si mon travail va marcher, je tâtonne, je cherche et puis un jour, je peux travailler avec eux, je peux les emmener en sortie… Ça c’est extrêmement gratifiant, c’est une immense fierté ! C’est un travail très difficile mais on rit aussi beaucoup et quand on arrive à créer le lien, c’est un lien qui est au-delà des mots. Ils me reconnaissent dans ce que je suis et je les accepte comme ils sont. Il y a une relation de confiance entre nous, ils savent que je suis là et que quoi qu’il se passe, je ne les laisserai pas tomber. Ils peuvent donc me suivre dans les apprentissages ou dans des choses qui ont pu leur faire peur. A ce moment-là, je sais que c’est bon mais il me faut souvent de longues semaines voire des mois de doute !
Aux 20 ans de la loi du 11 février 2005, qu’espérez-vous pour le futur ?
O.L : Je vais parler des troubles du spectre autistique, parce que c’est ce que je connais. Ce que j’aimerais vraiment, c’est qu’on puisse développer ce partenariat entre l’Education Nationale et le médico-social et aussi qu’il y ait une place pour chacun, une bonne place, la place qu’il lui faut dans le dispositif adapté à sa situation. Moi, je vois aussi concrètement les bienfaits de mélanger les enfants, de faire en sorte que les enfants en situation de handicap puissent, peu importe leurs difficultés, à certains moments, être au contact des autres parce que cela leur permet des modèles d’imitation qui sont très positifs.
Du côté des enfants qui ne sont pas en situation de handicap, ils apprennent comment être un bon citoyen et c’est grâce à eux que la société pourra évoluer puisqu’ils n’auront pas peur, ils ne porteront pas de jugement. On constate qu’il y a eu beaucoup d’évolution, mais moi je vois quand même des familles qui sont très seules, isolées et pour qui parfois les parcours sont chaotiques, ce qui cause beaucoup de souffrance… Mon souhait, serait que toutes les mamans puissent travailler si elles en ont envie. Ce n’est pas le modèle que j’ai à l’heure actuelle où beaucoup de jeunes mamans doivent arrêter de travailler pour pouvoir s’occuper de leurs enfants en situation de handicap et je trouve que cela devrait être un vrai choix. Il y a encore beaucoup de progrès à faire là-dessus, par rapport à cet isolement, à la possibilité pour ces familles d’avoir des aides, du répit parce que parfois l’école, leur permet aussi d’avoir un petit peu de répit.
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